Financer différemment
Si le financement annuel des réseaux de télévision publique pouvait être efficace à une époque où les changements se faisaient plutôt lentement, les patrons de la télévision présents au colloque ont tous sonné l’alarme. La technologie bouge si vite — et s’y adapter coûte si cher — que l’idée de savoir quels seront les budgets disponibles quelques années à l’avance semble une approche incontournable. « Le financement, c’est le nerf de la guerre, souligne Marie Collin, p.-d.g. de Télé-Québec. Mais c’est à recommencer chaque année, il faut revoir les gouvernements, les ministres qui changent souvent, il faut toujours convaincre de la pertinence de notre mandat, de notre impact. » TVO reçoit des dons privés, mais le modèle n’est pas applicable à tous. Et les Netflix de ce monde ont beaucoup plus d’argent que les joueurs québécois ou canadiens. « La bataille va être féroce, résume Michel Bissonnette, de Radio-Canada. Le budget de l’émission The Crown est de 100 millions pour 10 heures de télévision. C’est l’équivalent pour nous de 365 jours de télé. On ne pourra jamais concurrencer pour ce qui est de l’argent, et il y a des limites du point de vue de la créativité. Il faut faire plus de partenariats sur notre territoire, mais aussi explorer la francophonie dans le monde, et avoir l’ambition de faire rayonner [nos émissions] à l’extérieur du pays. »Des lacunes
Si l’aspect souvent dit « nouveau » des technologies Web, présentes depuis pratiquement 20 ans, a été raillé à quelques reprises en matinée lors de la table ronde sur les identités nationales à l’ère du numérique, ses participants ont souligné certaines lacunes de la télévision publique actuelle. « Je considère qu’on doit nourrir intellectuellement notre place publique de manière beaucoup plus affirmée. Il faut être à la pointe et ce n’est pas ça que je vois, je suis assez critique de notre production, a lancé le cinéaste Hugo Latulippe, aussi président de l’Observatoire du documentaire. Je vois que mes enfants ont déserté la production québécoise, ils ne la connaissent pas. Je leur nomme des artistes québécois, des films québécois et ils n’en ont aucune idée. La communication est un peu rompue avec eux, ils s’alimentent sur des plateformes étrangères, parce que c’est là qu’ils trouvent les contenus qui les nourrissent. » Catalina Briceño, du Fonds des médias du Canada, a souligné quant à elle que dans l’« hyper-offre » de contenus, les productions locales souffrent d’un problème de découvrabilité. Il y a là un enjeu légal épineux, d’autant que ce sont des « oligopoles qui mènent le Web », d’ajouter Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal et chroniqueur au Devoir. « Les algorithmes régulent la façon dont se passent les choses, et la question qui se pose, c’est comment les instances publiques devraient intervenir pour encadrer ce type de processus qui fonctionne selon des prémisses qui ne sont pas très transparentes. » Hugo Latulippe estimait par ailleurs que la télévision publique doit être meilleure dans un rôle paradoxal : « S’intéresser aux niches, créer des objets singuliers, mais être rassembleuse. » Bref, se reconnaître avec des produits uniques. « Le défi est là. »Article de Philippe Papineau paru dans Le Devoir